À PROPOS D'OUVRIR ET PARTIR


« OUVRIR ET PARTIR » vu par Pierre Merejkowsky

Ils sont un groupe

Ils font la manche dans le métro
Il ne veut plus vendre des produits de grande consommation

Dans la banlieue, près des habitants endormis

Ils organisent des fêtes
Ils vivent pour la musique, par la musique
Ils squattent

Ils disent qu'ils ont raison de squater
La revendication est posée
Nous ne voulons plus culpabiliser
Nous ne voulons plus nous laisser enfermer dans leurs réseaux associatifs de réinsertion culpabilisante

Ils veulent nous parler
Ils veulent nous recevoir
Nous (réalisateurs)
nous voulons des squats
Le travail, y'en a plus,
des logements vides, y'en a,
squatons, créons
Entrons, sortons.

Pierre MEREJKOWSKY


OUVRIR ET PARTIR est né de plusieurs rencontres.

Il y a d'abord eu la rencontre avec Fred. Il jonglait dans le métro avec un faux nez rouge. Lorsque je l'ai aperçu, je souhaitais filmer quelqu'un qui faisait la manche dans le métro.
Je m'étais en effet lancé dans le projet de tourner un film muet d'une minute, à la manière des frères Lumière, dans le cadre d'une série de films tournés à l'initiative de Jean ROUCH. J'avais l'idée d'un "pastiche" -un peu ironique- des frères Lumière, où je pourrais capter quelque chose de cette réalité de Paris de 1995, où tout trajet en métro confronte à la mendicité.
Je me suis donc décidé à aborder Fred et lui demander s'il accepterait d'être filmé. Il a tout de suite dit oui, et nous avons pris rendez-vous.
Peu après, Fred m'a invité à un prochain concert organisé par «LE CRI DE LA LARME», la bande qui vit avec lui dans un squat artistique. L'ambiance qui se dégageait du hangar, décoré et éclairé pour le concert, rempli par une foule qui y trouvait une musique à son goût, m'a séduit.
Je suis donc souvent revenu sur ces lieux à la rencontre de ceux qui constituaient «LE CRI DE LA LARME». Certains habitaient la gentilhommière abandonnée, d'autres des Algeco, un couple et leur bébé, enfin, la maison des gardiens de l'usine abandonnée.

Certains sont venus à ma rencontre. Il y a d'abord eu Sam, sans papier, inexpulsable et attendant depuis des années une solution légale à son existence en France. Puis il y a eu Nanou, qui vit avec Ben et leur fils Allan dans la maison des gardiens. Ils se sont rencontrés dans le métro, "à une époque où ils zonaient vraiment". Le CRI DE LA LARME, c'est leur aventure, leur vie. Ils veulent montrer "qu'on peut être heureux sans argent", en vivant de "récup".



Je n'ai pas voulu faire un film sur "les squats", le "problème des squats". Les gens du «CRI DE LA LARME» sont tous singuliers, ayant déjà vécu des événements forts, parfois marquants. Ils ont en commun de s'être retrouvés dans l'aventure de ce squat et vivent dans la marge de la société française de la fin des années 90. Ils ne sont pas représentatifs du "phénomène squat", c'est eux que j'ai eu envie de filmer, et je n'aurais d'ailleurs pas eu envie de filmer d'autres squats dans lesquels j'ai eu l'occasion de pénétrer.
La pertinence de leur analyse sur le fonctionnement de la société vis-à-vis des «exclus» m'a semblé pouvoir intéresser bien des citoyens curieux de ce qui se passe autour d'eux, à leur porte, à l'époque où ils vivent. J'ai donc tout naturellement donné une grande place dans le film à leur discours. Par leur rejet de certaines valeurs de la société de consommation, ils témoignent, même avec des contradictions, d'une résistance à un modèle de vie que d'aucuns penseraient incontournable.
Après l'expérience de «J'AVAIS DIX AMIS», documentaire tourné en film, j'avais pour «OUVRIR ET PARTIR» l'obligation de tourner en vidéo. J'ai eu envie d'utiliser ce nouvel outil, -pour moi-, dans ce qu'il permet de différent par rapport au film : une plus grande possibilité d'improvisation en cours de prise, et surtout des séquences beaucoup plus longues.
Cette improvisation dans laquelle je me suis risqué, en restant toujours caméra à l'épaule, m'a permis de rester prêt lors de l'intrusion de l'un chez l'autre, ou d'une envie subite d'un autre d'apparaître et de se livrer. En cherchant justement à ne pas maîtriser ce qui pouvait arriver, je me suis senti plus à même de ressentir ce qui allait se passer.
Certains disparaissent plusieurs jours, lui recule sans cesse le moment de venir me voir, la police intervient au moment où je ne suis pas là ; je prends mon parti de ce hasard, qui appartient férocement au réel.

François ROSOLATO