PORTRAIT À QUATRE MAINS
Voix de la réalisatrice

 

Le documentaire est une forme d'aventure cinématographique particulière, où l'on se sert de personnages réels pour tenter d'exprimer son propre point de vue.

Je voulais parler du mode de vie. Celui dont on a rêvé, enfant, et que l'on se construit,à l'âge adulte, en faisant un certain nombre de choix,comme celui d'un métier, d'un lieu de résidence ou d'un état civil...

Du moins était-ce ainsi que je voyais les choses, au début des années 80, lorsque j'ai rencontré Mário Jorge à Paris où j'étais venue tenter ma chance dans le cinéma.

C'est pour d'autres raisons que Mário Jorge avait quitté le Portugal, sept ans auparavant, mais lui aussi avait trouvé à Paris la ville qui correspondait à ses choix de vie. Notre amitié a débuté à ce moment-là.

Quand, au milieu des années 90, j'ai proposé à Mário Jorge de faire un film dont il serait le personnage principal, j'étais loin de mesurer toute la portée et les enjeux de mon projet.

J'avais d'abord l'intention de le montrer dans l'exercice de son métier de maquettiste-graphiste. Parce que je voulais témoigner sur cet art de la mise en page. Mais surtout parce que je pressentais que son travail était en pleine mutation, et que son mode de vie était menacé.Or, Mário Jorge me semblait rester fidèle à lui-même. Je voulais faire le portrait d'un "résistant".

 

Seulement voilà, lorsqu'on s'embarque à faire le portrait d'un ami, on découvre que l'amitié, elle, ne repose pas sur la connaissance exhaustive de l'autre, mais sur des connivences, un partage et le respect. D'une manière très utopique, je voulais faire un film "à deux voix": Mário Jorge restant l'auteur de son personnage, alors que je le mettais en scène en tant qu'interprète de son propre rôle, en tentant de retranscrire le plus fidèlement possible la réalité.

C'est dans cet état d'esprit que nous avons entrepris le tournage, qui s'est étalé sur plusieurs mois, et je remercie sincèrement tous ceux qui y ont participé, se prêtant de bonne grâce au jeu dont la règle était "cartes sur table".

C'est au cours du montage que j'ai découvert que cette quête de "vérité" était un leurre. Un personnage réel est beaucoup plus complexe que celui qu'on camperait dans une fiction, ses mille facettes peuvent se décliner à l'infini comme les innombrables combinaisons qu'offrent les "mains" du jeu de mah-jong. Je m'empêtrais dans les contradictions et dans les contresens.

Heureusement vient le moment où le film prend son propre souffle, et si le montage est une manipulation, le monteur lui-même se retrouve entraîné dans un jeu de construction qui le dépasse. Ce n'est qu'après avoir "remis cent fois sur le métier mon ouvrage" que j'ai enfin compris ce que je cherchais en filmant Mário Jorge : s'il n'était pas le "résistant" que j'avais imaginé, les armes avec lesquelles il luttait dans cette crise de fin de siècle étaient celles de la poésie et du cœur. Je voulais les faire miennes.

Anne GALLAND

voix du personnage
fiche technique
PORTRAIT À QUATRE MAINS
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